Sénégal

Le CVD (Club de Voile de Dakar) est « LE » point de chute des navigateurs de cette grande capitale africaine. C’est à vrai dire le seul endroit où il y a un quelconque accueil pour les voiliers. Un peu au Sud du port commercial, dans le fond de la Baie de Hann, on trouve un misérable ponton branlant avec des bateaux mouillés devant. Peu de temps après notre arrivée un employé du CVD nous rejoint en barque et nous propose de nous amener à terre, c’est Mustapha. Son job est de faire le taxi le week-end, pour débarquer et rembarquer les navigateurs. La première chose qui frappe en débarquant c’est l’odeur de vase pourrie de cette plage complètement dégradée par des immondices : c’est une vraie poubelle ! Nous devons traverser la plage pour rejoindre le club, bâtisse et ses dépendances qui ont eu leur heure de gloire pendant l’époque coloniale. C’est à peu près propre, si ce n’est les épaves de bateaux, canots, moteurs qui sont entreposés sur le terrain. C’est le point de chute des baroudeurs (à voile ou en camping-car) du coin.

Nous rencontrons les divers intervenant du Club. Il y a Abdou qui nous propose de faire le plein d ‘eau, un autre qui est responsable des carburants, mama lessive, mama nougat qui vend de la bonne nougatine aux cacahouètes, des pralines ou des cacahouètes salées délicieuses, mama couture qui propose de drapeaux de tous les pays ou des vêtements sur mesure, etc… Comme c’est dimanche nous devons attendre le lendemain pour faire les formalités. Partis pour faire une première découverte nous sommes alpagués par une bande d’expatriés qui se retrouvent tous les dimanches au bar du Club. Nous passons une agréable fin d’après-midi en leur compagnie : ils nous apprennent leur Afrique.

Notre première journée consacrée presque exclusivement aux formalités d’entrée dans le pays est une bonne mise en conditions. Le CVD est situé à la limite d’un quartier « chic » et d’un village de pêcheur. Quand on sort dans la rue à peine bitumée, on trouve des étals en tout genre, l’étal de Mama couture avec ses vêtements et tissus africains, des bouisbouis où les femmes cuisinent à même le sol ou vendent des fruits, des « artisans » qui fabriquent des objets en soudant ; des genres de menuisiers travaillent le bois, tous avec des pièces récupérées et quasiment sur la rue. Au coin de la rue apparemment c’est l’endroit où on trouve un taxi. Et effectivement un véhicule noir et jaune complétement délabré se présente et accepte de nous emmener au centre-ville au poste de police.

La conduite à Dakar est très spéciale, s’il y a deux files on en fait une troisième pour gagner quelques centaines de mètres, les routes sont complétement défoncées. Notre chauffeur se faufile partout au milieu des camions, semi-remorques qui sortent de la zone de fret portuaire, tout cela dans la poussière et les embouteillages permanents de Dakar. Nous serons les fesses ! Notre chauffeur ne parle pas très bien français et ne sais pas du tout où il doit nous amener, ce qui complique un peu les choses. Nous finissons tout de même, au bout d’une heure à trouver le bureau de la police de l’immigration. Nous arrivons en haut d’un escalier dans un couloir où nous passons devant un groupe de policiers inactifs, assis en rang d’oignons. On nous conduit dans un premier bureau où nous attendons l’employée qui va s’occuper de nous. Pendant ce temps ses collègues se préparent un casse-croute et bavardent, il y a une belle animation dans ce bureau ! Nous sommes ensuite conduits dans un autre bureau où on nous prend nos empreintes digitales, puis retour dans le premier bureau où enfin la policière remplit ses formulaires, nous tamponne nos passeports, tout en jacassant avec ses collègues qui s’amusent avec le chef qui télécharge ses photos de vacances. Tout se passe sans aucun stress dans une ambiance bien sympathique, mais il ne faut pas être pressé ! Nous retrouvons notre chauffeur qui nous attend et c’est encore toute une affaire pour trouver une banque pour retirer quelques CFA. Nous finissons par abandonner de trouver le bureau des douanes avec lui, c’est déjà assez compliqué de lui faire comprendre de nous ramener où il nous a pris.

Le bureau des douanes se trouve près du CVD et nous nous y rendons l’après-midi à pied. Il faudra deux essais, Au premier, le chef n’étant pas là, la secrétaire revêche ne pouvait rien faire. Après 15 heures nous retournons donc voir cette aimable personne qui nous demande ce que nous voulons. – Et bien ! Etre en règle, mais s’il n’y a rien à faire nous repartons ! – Mais vous ne serez pas en règle ! Elle finit par daigner nous expliquer qu’il faut qu’elle nous délivre un « passavant » (ou permis de circuler) pour le bateau. Ce document est payant 25000 CFA (environ 35 €) pour un mois : payé sans reçu ! Apparemment c’est la nouvelle coutume ! Du racket, peut-être, peut-être pas ? Le document est délivré à nos trois prénoms, le nom du bateau ne figure même pas sur le document : mais il fait très officiel avec de beaux tampons. Elle se fendra quand même d’un « Bon séjour » pour nous saluer ! Cette journée nous a épuisés ! Nous finissons l’après-midi au bar du CVD à faire connaissance avec les quelques navigateurs de passage.

Le lendemain nous restons à bord ou au bar, nous devons démonter la grand-voile sur laquelle le coulisseau de point d’écoute est déchiré, de plus elle s’est abimée sur les barres de flèche et il faut trouver ce qui a pu la blesser. Nous débarquons notre lessive, portons la voile à Diego, le voilier du CVD, un gars bien efficace. Philippe, qui s’était déjà brûlé le nez lors de l’épisode « bataille avec le gennaker » pendant la traversée, ne voit pas que la porte du local faisant office voilerie est très basse et se fend le crâne en la prenant de plein fouet.  Tout le monde est aux petits soins pour lui. Heureusement, plus de peur que le mal ! Il a la tête dure !

Notre premier jour de visite de Dakar, nous reprenons un taxi qui nous amène au marché Kermel. Une grande halle très animée avec, au centre, les étals de poissons peu engageants qui exhalent une odeur très désagréable, et autour, les étals bariolés et très fournis de fruits et légumes. On peut à peine circuler entre les allées. A la sortie du marché nous sommes alpagués par les vendeurs de toutes sortes de souvenirs africains. Ils ne sont pas trop insistants, il suffit de dire non fermement et avec le sourire. Certains engagent la conversation pour savoir si nous venons de la vraie France, puis on fait une petite plaisanterie sur le prochain match où le Sénégal joue pour la coupe d’Afrique et on est amis !

Nous marchons dans les rues et arrivons sur la Place de l’Indépendance. Une large esplanade avec de la verdure entourée d’immeuble plus modernes, tous les bâtiments ainsi que la chaussée, sont partout en très mauvais état. Nous allons marcher sur le Corniche qui longe la mer et trouvons « Le Lagoon », un bar que nous ont recommandé nos expatriés. Un endroit fréquenté par les VIP qui contraste terriblement avec tout ce qui l’entoure. Encore un vestige de la grandeur coloniale avec sa belle terrasse sur la mer avec sa plage privée, la seule propre de Dakar. Le tout jouxte une plage où logent des sans-abris. Ce sont les contrastes de l’Afrique !

Notre seconde journée de visite de Dakar nous conduit au Musée des Civilisations Noires, un immense bâtiment moderne qui regroupe des expositions très scientifiques de l’origine de l’humanité jusqu’à l’art africain en passant par les diverses religions, la place des femmes en Afrique etc… C’est très intéressant, mais il faudrait y passer une semaine pour tout voir ! Nous avons tout juste le temps d’attraper le bateau pour l’Île de Gorée en sortant du Musée. Cette île très recherchée et résidentielle lors de l’époque coloniale est maintenant, parait il, un lieu de villégiature pour les Dakarois aisés. En dehors de la zone du débarcadère où se trouvent les restaurants, les étals touristiques, et quelques villas, le reste de l’île est une vaste poubelle où les gens vivent avec leurs chèvres dans des genres de bidonvilles dans une grande misère. Les anciennes maisons coloniales sont dans un état de délabrement avancé, et comme partout des détritus jonchent le sol. Au bout de l’île des artistes exposent dans la rue des longueurs de jolis tableaux destinés aux touristes. En deux jours nous avons notre dose de Dakar, de ces allers-retours interminables dans la poussière en taxi pour ne visiter à peu près que des détritus et des ruines.

Depuis notre arrivée à Dakar nous sommes sous le régime de l’harmattan. Ce vent de sable du désert provoque une baisse sensible de la visibilité, salit tout en déposant une poussière ocre qui s’incruste partout. C’est très désagréable, on se sent sale en permanence et notre pauvre bateau à piètre allure. On en vient à espérer une bonne averse pour tout nettoyer. Vivement les premiers grains tropicaux ! De nombreuses personnes portent des masques pour se protéger ; à la longue ce ne doit pas être très bon pour la santé de respirer ce sable.  

Les journées passées au CVD nous permettent de nous reposer un peu. Les employés sont très gentils, les femmes sont très attachantes, elles viennent me parler et nouent une espèce de complicité féminine. Je me fais faire une robe sur mesure dans un tissu africain bariolé. Il suffit de demander ce dont vous avez besoin et tout de suite l’un des gars sur place vous trouve la solution : c’est le système D africain. Nous passons nos journées à l’abri de la terrasse en sirotant de La Gazelle, la bière locale. Nous allons découvrir le village de pêcheur voisin où nous pouvons acheter des fruits et légumes. Les transactions sont parfois surprenantes car les vendeurs ne savent pas toujours compter et si cela dépasse trois articles, ils doivent demander l’intervention d’un de leurs comparses. On ne s’y attarde pas car les puanteurs du marché aux poissons et la saleté environnante sont trop dépaysantes pour nous.

Au bout de six jours, fatigués de cette ville sale et bruyante (je ne vous ai pas parlé de l’appel à la prière à longueur de journée !), nous levons l’ancre pour nous diriger vers le Sud où nous attend l’embouchure du Siné Saloum et sa belle nature.

Nous partons très tôt, il fait encore nuit, pour pouvoir arriver de jour à l’embouchure du fleuve Saloum qui est réputée délicate et surtout non éclairée. Nous trouvons notre chemin, de nuit, entre les nombreux cargos et tanker au mouillage dans la baie de Hann. Puis la journée nous devons également souvent dévier notre route pour éviter les filets et zones de pêche. Sur les 65 milles de navigation il n’y pas une zone où la pêche n’est pas pratiquée, cela grouille de barques de pêcheurs. Ce sont de grandes barques bariolées d’au moins 10 mètres où ils sont très nombreux pour remonter des filets très grands et chargés en poisson. Ils pêchent souvent à plusieurs barques : une plus petite avec un seul homme à bord semble tendre le filet.

Nous trouvons facilement l’entrée du Saloum, balisée par un chenal de bouées rouges et vertes et allons mouiller notre ancre en amont du village de Djiffer peu avant la tombée de la nuit.

Le lendemain, nous entreprenons, après avoir gonflé notre annexe, d’aller un jeter un coup d’œil au village espérant trouver un peu autre chose qu’en ville. Grosse déception ! Nous débarquons sur une plage jonchée de débris en plastique, qui semble privée et demandons l’autorisation de laisser notre annexe sur la plage aux gars qui travaillent sur le lieu : « Pas de problème, tu me donnes 2000 CFA ! ». Sur la route qui rejoint le village, nous longeons, sur un côté la plage avec des meutes de chiens errants, des chèvres, et de l’autre des maisons misérables sans toit pour la plupart : quatre murs en parpaings, une cour avec des chèvres et du linge qui sèche. Le village n’a rien à envier à notre village de pêcheurs de Dakar. C’est tout aussi sale et puant.

Nous rentrons plutôt déçus au bateau et décidons donc d’aller mouiller ailleurs. Un peu en amont nous posons notre ancre devant un hôtel : Hakuna Lodge. Nous pouvons profiter de la soirée en sirotant une bière sur une terrasse propre face à la rivière elle-même propre et propice à la baignade. Quel bonheur ! Le personnel du lodge, très accueillant,re nous prend nos poubelles nous propose de prendre une douche dans leurs installations, nous pourrions également faire de plein l’eau si besoin.

Le lendemain nous profitons de l’hospitalité du lodge, pour y laisser notre annexe en sureté et partons à pied visiter le village de Mar Lodj. Nous marchons une bonne heure dans la brousse tant que la chaleur est encore supportable.

Nous suivons une piste de sable dans une lande plate, plantée d’herbe sèche, d’eucalyptus de quelques baobabs et autres épineux, nous traversons des zones de marais plus ou moins asséchés. Avant de voir les maisons, la proximité du village est signalée par la présence de détritus divers et variés dans la nature.  Le village de Mar Lodj est visité par des touristes et son activité en est affectée. Nous sommes accueillis par un guide qui, sans rétribution, nous fait faire le tour du village et nous en explique la vie. Les trois religions catholique, musulmane et animiste cohabitent, avec une mosquée et une église. Il nous montre l’arbre de la fraternité symbolisé par deux arbres entrelacés l’un à l’autre au pied duquel est rendue la justice encore aujourd’hui. L’arbre de circoncision et de l’initiation où se déroulaient les rites initiatiques, le marché, les étals artistiques. Il prend congé en nous remerciant de nos achats de confitures et objets artistiques et nous organise le retour en calèche au lodge. Un moment bien sympathique dans un village typique et propre.

Après une soirée bien agréable à regarder le coucher du soleil en sirotant un Mojito nous continuons le lendemain la remontée du fleuve Saloum.

La rivière Saloum est très large et forme un véritable delta. Le relief est complètement plat, les rives sont bordées de mangrove qui alterne avec de petites plages avec assez peu de végétation, des bois d’eucalyptus et quelques palmiers. Nous remontons la rivière sur 5 milles pour entrer dans un bolong qui serpente dans la mangrove. Nous mouillons notre ancre à l’entrée d’un petit bras de rivière par lequel nous rejoignons le village de Moundé.

Après avoir débarqué sur un ponton des plus rudimentaire nous empruntons une piste pour rejoindre le cœur du village. C’est comme tous les villages que nous avons visité un ensemble plutôt triste de maisons en béton toutes grises et plutôt misérables où les chèvres vivent avec les villageois. Sur la périphérie, de nombreuses maisons sont en construction. On retrouve comme partout ce problème de traitement des ordures. 

En dehors du village de Mar Lodj où la réalité est un peu faussée par le besoin touristique, tous ces villages sont finalement tous pareils et un peu tristes. Nous sommes un peu lassés de cette misère et cela même si les habitants sont très amicaux. La brousse offre un beau paysage mais un peu monotone et en dehors des buffles, de belles variétés d’oiseaux et paraît-il des hyènes, il n’y a pas tant d’animaux que cela dans cette partie du Sénégal. 

Forts de ces constatations et à vrai dire un peu lassés de la saleté nous décidons d’abréger notre séjour. Nous n’irons pas en Casamance. De plus le nouveau jeu de la police, en vigueur là-bas qui consiste à racketter les navigateurs de 100000 CFA, nous énerve un peu. 

Le 31 janvier nous redescendons le Saloum sous génois poussés par un bon vent et allons passer la nuit dans le bolong de Douniar juste face au chenal de sortie. Et le 1 février nous reprenons le chemin de Dakar sans trop de vent donc toujours un peu au moteur, en slalomant entre les diverses activités de pêche. Nous devons faire nos formalités de sortie à la capitale et en profitons pour déposer Daniel qui reprend l’avion pour Paris.

Nous reprenons nos habitudes au CVD. Un aller-retour vite expédié à Dakar pour faire tamponner nos passeports. Nous retrouvons la même ambiance dilettante au bureau de l’immigration que la semaine dernière. Nous faisons le plein au supermarché Casino de Dakar bien approvisionné en produits français, en prévision de la transat, sachant qu’au Cap Vert on ne trouve pas tout. Nous trainons, prenons nos repas au CVD, remettons le bateau en mode traversée. Alors que nous sirotons une bière au bar, un monsieur nous aborde nous demande si nous n’allons pas au Cap Vert par hasard. Il est descendu en camping-car depuis la France avec sa petite fille qui cherche à gagner Mindelo où elle va travailler pour une O.N.G. Tous les deux ont de beaux projets et sont bien sympathiques, nous acceptons d’embarquer Coline à condition qu’elle se mette en règle avec les autorités pour la sortie du territoire. Il faut faire vite, nous sommes vendredi et tout est fermé le week-end. 

Le samedi nous disons au revoir à Daniel qui prend son avion et va rejoindre sa Pénélope qui commence à se morfondre. Un grand merci Daniel pour ta présence toujours autant appréciée.

Demain nous levons l’ancre vers le Cap Vert avec une nouvelle équipière…